Aujourd’hui, j’ai décidé de vous parler d’un biais cognitif, le biais de surconfiance, que l’on connaît aussi sous le nom d’effet Dunning-Kruger.
J’ai déjà eu l’occasion d’aborder le sujet des biais cognitifs. Dans cet article, je vous expliquais dans les grandes lignes ce qu’est un biais cognitif et lesquels sont les plus fréquents dans une relation amoureuse.
Les biais cognitifs sont des sujets intéressants à creuser parce qu’ils sont une sorte de réflexe et parfois, ils sont à la base de jugements erronés assez typiques et classiques.
Qu’est-ce qu’un biais cognitif ?
Pour rappel, les biais cognitifs sont des formes de pensée qui apparaissent à nos yeux comme de la pensée logique ou rationnelle. Ils nous permettent de porter des jugements, d’analyser des situations et prendre des décisions de façon rapide et intuitive.
Ce processus de pensée rapide est très utile puisque cela nous permet de réagir rapidement selon la situation mais aussi d’économiser notre énergie.
Mais comme je le disais précédemment, ils peuvent nous induire en erreur. Et par conséquent, avoir un impact sur nos dynamiques relationnelles.
Le biais cognitif dont je vais vous parler dans cet article est un biais cognitif par lequel les personnes les moins qualifiées d’un groupe tendent à surestimer leur compétence dans un domaine. À l’inverse, les personnes qualifiées vont avoir tendance à sous-estimer leurs compétences.
Je vais donc vous expliquer comment fonctionne ce biais et pourquoi il me semble important d’avoir conscience de cet effet. Cela me permettra ainsi de vous exprimer pourquoi dans une relation amoureuse, ou toute autre relation d’ailleurs, il peut être gênant.
Qu’est-ce que l’effet Dunning-Kruger ?
Comme je l’évoquais il y a quelques instants, l’effet Dunning-Kruger est un biais cognitif dans lequel les individus ayant de faibles compétences ou connaissances dans un domaine donné, ont tendance à surestimer leurs compétences et leur niveau de connaissance.
En d’autres termes, ces personnes croient souvent qu’elles sont plus compétentes qu’elles ne le sont réellement, ce qui peut les amener à faire des jugements erronés, à affirmer des propos qui manquent de nuances ou encore, à prendre des décisions inappropriées.
Ce phénomène est nommé d’après les chercheurs David Dunning et Justin Kruger, qui ont mené une étude sur le sujet en 1999. Et ils attribuent notamment ce biais à une combinaison de deux facteurs : une difficulté métacognitive et une absence de conscience du sujet global.
La surestimation des compétences
C’est-à-dire que la combinaison de ces deux facteurs fait que les personnes incompétentes manquent de capacité à prendre du recul par rapport à la compétence en question pour évaluer leur niveau avec justesse. Elles n’auraient ainsi pas le degré de conscience, de compétence et de connaissance suffisante du sujet, pour réaliser que le domaine est bien plus large que ce qu’elles croient.
En d’autres termes, cela signifierait qu’une personne qui découvre un nouveau sujet reste un certain temps dans la phase “inconsciemment incompétente” du sujet. Notamment parce qu’elle n’est pas en mesure de reconnaître son propre manque de compétences ou d’expertise dans le domaine.
En fait, si je devais résumer de façon un peu plus grossière, le début de l’effet Dunning-Kruger correspond à un ignorant qui s’ignore ou encore à une personne incompétente qui croit être la meilleure sur le sujet. On parle de biais de surconfiance parce que la personne ignorante a une grande confiance dans sa connaissance et croit très bien connaître son sujet alors qu’elle manque de capacité à voir l’entièreté de celui-ci.
Reconnaître l’effet Dunning Kruger
Je parle de début d’effet parce que celui-ci se déroule en plusieurs étapes.
À mesure qu’on commence à apprendre sur un sujet, on finit par le dérouler toujours un peu plus pour se rendre compte qu’en fait il existe toute une arborescence de sujets connexes qui vont nous permettre de réellement acquérir l’expertise en question.
Le moment où l’on en prend conscience, c’est un peu la désillusion. On peut même avoir le sentiment qu’on ne connait rien du tout alors qu’on a quand même un socle de base. Mais cette étape de prise de conscience, elle est importante puisqu’elle va nous permettre justement de développer la fameuse compétence métacognitive. C’est-à-dire la compétence qui va nous permettre de nous situer dans l’apprentissage de la connaissance.
On va alors être dans une forme d’apprentissage où on exagère pas nos compétences si bien qu’elles évoluent d’une façon assez stable sans surévaluation de notre part.
Par exemple, quand on décide d’apprendre une nouvelle langue, on n’est pas forcément sujet à ce biais de surconfiance parce que le fait de maîtriser notre langue maternelle, nous permet d’avoir des points de repères sur notre niveau dans une autre langue.
On est en capacité de savoir qu’on n’a pas une expertise du japonais quand on connaît uniquement du vocabulaire de base. On le sait parce qu’on sait que maîtriser une langue peut impliquer le fait de pouvoir la parler couramment, de la lire, de l’écrire etc.
Illustration satyrique de l’effet Dunning-Kruger
Il y a une courbe qui illustre l’effet Dunning-Kruger. En fait, c’est un schéma satyrique qui propose d’observer la différence entre la perception de la compétence et la compétence réelle d’une personne.
Image par Arjuna Filips, sous licence CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons.
On a donc à l’horizontal, en abscisse, la compétence qui va de débutant à expert. Et à la verticale, en ordonnée, on a le degré de confiance envers la compétence. C’est donc un parallèle entre ce qu’une personne croit savoir et ce qu’elle sait réellement.
Le début de la courbe est sous forme de cloche. On monte en flèche sur ce qui est appelé la montagne de la stupidité. Le moment où on est débutant et on croit tout savoir. Puis on tombe bien bas dans la vallée de l’humilité. C’est l’instant où on réalise que depuis le début, on ne sait pas ce qu’on ne sait pas. Puis la courbe remonte petit à petit jusqu’à atteindre une forme de plateau. Ce plateau correspond à la consolidation des connaissances, où l’on peut vraiment commencer à s’affirmer sur un certain niveau d’expertise. Notamment, parce qu’avec cette montée davantage mesurée, on développe une auto évaluation des compétences que l’on a, qui est plus réaliste.
Précision importante : il faut savoir que ce schéma ne représente pas les données de l’expérience originale réalisée par Dunning et Kruger. Mais c’est une façon imagée de mieux appréhender ce biais de surconfiance.
Les comportements de surconfiance
Alors comment est-ce qu’on peut faire pour reconnaître cet effet de surconfiance ?
Vous avez peut-être déjà observé ou vécu l’effet Dunning-Kruger. Par exemple :
- Lors de la pandémie, une bonne partie de la population semblait tout d’un coup experte sur le sujet du virus à force de lire des articles sur l’actualités
- Ou encore, après avoir consommé quelques contenus en podcast, sur youtube, instagram ou autre, des personnes peuvent donner l’impression de tout connaître sur les HPI, l’hypersensibilité, les styles d’attachements, la dépendance affective etc.
En fait, quand on commence à acquérir un peu de connaissance sur un sujet, on peut partir du principe qu’on va probablement surestimer nos connaissances et être dans ce biais de surconfiance.
Les déclics et grandes révélations
Souvent, cela arrive quand on a des déclics. Quand il y a un tilt qui se fait dans notre tête et qu’on a l’impression d’avoir une énorme révélation. Révélation telle qu’elle vient expliquer tellement de choses.
Par exemple, quand j’ai découvert les langages de l’amour, j’ai trouvé ça incroyable. Pour moi, cela venait résoudre et expliquer tant de problèmes dans un couple. Si bien que je pouvais ne regarder des situations qu’à partir de ce prisme là.
Le hic est qu’une problématique est rarement mono facteur. C’est quand j’ai continué à apprendre sur le domaine de l’amour que j’ai pu me rendre compte qu’il y a des informations croisées, des subtilités, des nuances à ajouter etc.
Ma vision des langages de l’amour aujourd’hui n’est plus la même que lorsque j’ai lu le livre de Gary Chapman pour la première fois.
Sauf qu’avant d’avoir cette prise de conscience, j’allais parler du sujet avec beaucoup d’assertivité autour de moi. Forcément, vous vous doutez que plus je parle avec confiance d’un sujet, plus les personnes autour de moi me renvoient l’image que m’y connais bien sur le dit sujet. Ce qui vient alimenter la surconfiance en question.
Comment éviter d’être dans l’effet Dunning-Kruger ?
Considérer nos propres limitations
De fait, pour éviter de tomber dans ce biais de surconfiance, le simple fait de se dire qu’on est peut-être en train de surestimer nos connaissances fait qu’à priori, on est possiblement plutôt dans une forme de vallée de l’humilité. On reconnaît qu’on ne sait peut-être pas tout.
Croiser les informations
Je pense aussi que cela peut être important de revisiter ses sources d’informations et de ne pas prendre pour acquis les propos d’une personne qui s’exprime avec assertivité. Ou alors à minima, de venir regarder l’expertise de la personne qui s’exprime.
Si je prends l’exemple des relations amoureuses, je suis personnellement en capacité de créer une arborescence des sujets qui touchent à l’amour mais aussi de proposer des ressources à consulter pour approfondir telle ou telle thématique. Célibat, rupture, couple, polyamour, relation libre, sexualité etc.
J’ai une bibliographie en tête de comment j’en suis arrivée à avoir les connaissances que j’ai aujourd’hui. Mais j’ai aussi connaissance des sujets qui touchent à l’amour et que je connais moins bien. Si bien que je suis en capacité de rediriger vers des personnes plus compétentes si besoin. Et surtout, j’ai connaissance de professionnels qui ont des expertises approfondies des dits sujets en question.
En d’autres termes, vous pouvez croiser les informations.
Observer le parcours et l’expertise
Je pense aussi que cela peut être bon de remettre une situation dans son ensemble. Je pourrais très bien trouver très pertinente une personne qui s’exprime sur les relations amoureuses mais peut-être que ce ne sera pas la personne adéquate pour me donner des conseils en nutrition.
On peut regarder d’où part l’expertise de la personne.
Est-ce qu’il s’agit de sa propre expérience de vie ? Auquel cas, ses conclusions ne s’appliqueront peut-être pas à vous.
Mais aussi, on peut venir regarder d’où elle tire ses observations :
- Est-ce de son entourage proche, des milieux qu’elle fréquente, de son propre travail etc.
- Est-ce que l’échantillon sur lequel elle mène son évaluation peut être considéré comme représentatif d’une majorité de la population ?
Considérer les biais cognitifs
Mais aussi, il ne faut pas oublier que d’autres biais cognitifs existent. Il y a par exemple le biais de confirmation qui nous amène à chercher des exemples et observer des choses qui vont nous confirmer ce en quoi on croit déjà. Mais aussi, il existe un biais de généralisation qui va nous faire tirer de large conclusion en s’appuyant sur peu de cas et de faits pertinents.
Par exemple, des femmes hétérosexuelles me disent parfois que de nos jours les hommes ne veulent plus s’engager et que plus personne ne veut de relations sérieuses. Il s’agit en fait d’une généralisation liée à leur expérience de rencontre personnelle qui peut se coupler aux réponses qu’elles vont chercher en vidéo sur “comment faire pour qu’un homme ait envie de s’engager”. D’un côté il y a donc le vécu personnel, de l’autre l’existence de ce type de vidéo qui indique qu’il y a des personnes qui se posent cette question.
Cela confirme ainsi la croyance initiale et peut effectivement donner l’impression que les hommes ne s’engagent plus. Pourtant, je peux vous assurer qu’il y en a puisque j’en reçois régulièrement à mon cabinet.
Est-ce que cela représente une majorité ? Je ne sais pas. Il n’y a pas d’études significatives qui permettent de valider l’une ou l’autre des propositions. C’est là où il est important d’affiner son esprit critique.
En bref, quand on démarre un apprentissage d’un sujet, je pense que c’est important de garder en tête qu’on a inévitablement des angles morts.
Le biais de surconfiance dans la relation amoureuse
Et en quoi cet effet peut être gênant dans une relation amoureuse ?
Comme je le disais, les biais cognitifs peuvent nous mener à des jugements erronés ou à des prises de décisions inadéquates.
Prenons un couple qui vit une situation compliquée depuis un moment. Une des personnes va commencer à chercher des solutions, des réponses, des explications etc. (La démarche, en soi, est bonne, je ne la remets en question)
Dans sa recherche, la personne pourrait peut-être découvrir des éléments comme :
- les styles d’attachements
- le voyage du couple
- les langages de l’amour
- la communication non violente
- l’intelligence érotique etc.
Une hiérarchie verticale du couple
Cette découverte de nouvelles connaissances pourrait l’amener à se positionner comme “la personne qui sait mieux” vis-à-vis de l’autre. Si bien qu’elle utiliserait ses nouvelles connaissances fraîchement acquises pour dire à l’autre de changer et d’agir de la façon qui l’arrange.
Cette personne pourrait dire quelque chose comme : “Moi j’ai compris que je suis dans un style d’attachement anxieux, je travaille sur moi et je fais ce qu’il faut pour que ça aille mieux entre nous mais de son côté mon partenaire refuse de se pencher sur son attachement évitant.”
Ou encore : “Il retombe toujours dans ses travers.” ou même “il refuse de travailler sur lui alors que j’ai identifié la source du problème.”
On est dans une dynamique qui revient à dire que l’une des deux personnes sait ce qu’il faut faire et que l’autre doit se soumettre à ces solutions. Le mot soumettre est fort, je le sais. Mais je l’emploie pour que vous compreniez bien mon propos.
Le problème c’est qu’ici on a tendance à pointer l’autre du doigt, à mettre son ou sa partenaire en défaut et c’est le moment où les barrières se lèvent instantanément.
Cette posture adoptée vient mettre l’autre en difficulté et fait reposer la réussite de la relation sur le changement de l’autre. Là où, c’est rarement, voire jamais mono facteur. De fait, dans mon exemple, la solution à envisager ne se situe peut-être pas que dans cet unique prisme des styles d’attachement.
Un diagnostic potentiellement erroné
De même, quand on est dans ce biais de surconfiance, il est possible que l’auto-diagnostic qu’on pose ne soit pas le bon. On va alors amener des solutions inadéquates puisqu’elles ne répondront pas au réel problème.
Dans mon exemple, il se pourrait que le problème ne se situe pas dans les styles d’attachements mais dans une communication inadéquate liée à une lutte de pouvoir.
Comme j’ai pu le mentionner, quand j’ai découvert les langages de l’amour, j’ai cru que c’était la réponse aux crises de couple. Alors qu’en fait, le tout est de permettre de replacer la situation dans l’entièreté du système, en prenant en compte les unicités respectives de chacun.
L’impact des réseaux sociaux
Ce biais de surconfiance est exacerbé avec les réseaux sociaux. On a la chance de vivre dans une ère où la connaissance est facilement accessible. C’est-à-dire que si on se souhaite se former sur un sujet, on trouve des ressources, potentiellement gratuites.
Mais c’est important de regarder de quelle manière on s’informe. Si je prends ma thématique de l’amour et des relations amoureuses, je vais pouvoir trouver plein de contenus sur instagram, sur YouTube, dans des livres etc.
Vous n’imaginez pas le nombre de personnes qui sont dans un biais de surconfiance en ce qui concerne les relations amoureuses parce qu’il ou elle ont lu un livre sur le sujet. Ou encore parce qu’il ou elle ont découvert une thématique et ont regardé une trentaine de vidéos de 90 secondes qui décryptent le sujet.
Je trouve que cela peut être un très bon point d’entrée mais vraiment j’insiste sur le fait que c’est important de garder en tête qu’un domaine est rarement mono-facteur.
On ne comprends pas tout à l’amour parce qu’on connaît un élément comme :
- les styles d’attachements
- le voyage du couple
- les langages de l’amour
- la communication non violente
- l’intelligence érotique etc.
C’est l’ensemble de ces divers sujets qui vont permettre d’appréhender les relations amoureuses dans leur ensemble.
Conclusion sur le biais de surconfiance
Cet effet, je l’observe fréquemment et il me fait sourire puisqu’il existe une réelle exagération de soi quand on est dedans. Moi la première. Et on peut même avoir tendance à être condescendant tant on a le sentiment de détenir le savoir.
Alors c’est génial de se renseigner et de se passionner pour plein de sujets. Ce que je vous invite simplement à prendre en considération est qu’on peut toutes et tous être sujet à ce biais cognitif et cela vaut le coup d’affuter son esprit critique pour faire preuve de discernement.
Pour terminer, c’est aussi important de préciser que cette étude a ses limites et les chercheurs Dunning et Kruger reconnaissent eux-même certaines de ses limites.
Selon les chercheurs, leurs résultats concernent essentiellement les domaines où la performance et la connaissance sont liées, comme les activités techniques et les sciences.
Ou encore que, même si la métacognition semble jouer un rôle important, elle n’est certainement pas le seul facteur à pouvoir expliquer que les personnes les moins compétentes surestiment le plus leurs performances.
Mais aussi, l’étude est à prendre avec des pincettes puisque les conditions de réalisations de celle-ci pourraient faire que ce phénomène soit lié à une certaine culture.