Parlons peu, parlons bien, parlons charge conversationnelle.
Il y a quelques semaines, je vous parlais de charge mentale. Aussi, vous avez peut-être déjà entendu parler de charge émotionnelle. Que de charges existantes dans les relations apparemment puisque j’arrive avec un autre type de charge : la charge conversationnelle.
J’emploie ce terme car il me semble être intelligible. Je ne sais pas s’il en existe un “officiel” pour décrire ce dont je vais vous parler. J’ai fait plusieurs recherches autour du sujet et je ne trouvais pas grand chose.
Pourtant la charge conversationnelle, c’est une dynamique que j’observe et que je retrouve dans bon nombres d’interactions sociales. Que ce soit du côté des personnes que j’accompagne, du côté de mon entourage ou de mes propres échanges interpersonnels.
Dans cet article, je vais ainsi vous expliquer plus en détail ce que j’appelle charge conversationnelle et comment cela se manifeste dans nos relations amoureuses et comment est-ce que ça les impacte.
Qu’est-ce que la charge conversationnelle ?
Ce que j’appelle charge conversationnelle, c’est le poids qui repose sur les épaules d’une seule personne dans une conversation entre deux individus. C’est le fait qu’uniquement une des deux personnes se porte garante du bon déroulé de la conversation. En fait, tout simplement, une personne a la charge de rendre la conversation intéressante. Qui plus est, cette personne a également la charge de permettre à la conversation d’évoluer vers une éventuelle connexion émotionnelle.
La conversation, une activité structurée
Une conversation, contrairement à ce qu’on pourrait croire, n’est pas spontanée, normale ou naturelle. En fait, depuis notre plus tendre enfance, nous avons appris à discuter. Une conversation se structure avec des ouvertures, des séquences, des transitions, des fermetures etc.
En d’autres termes, faire la conversation se compétence. Et dans une optique de conversation équilibrée, on retrouve généralement le fait de ne pas se couper la parole mais aussi de répartir les temps de parole. Nous avons plus ou moins d’affinité avec le fait d’écouter et de parler, donc une conversation ne se remplit pas nécessairement par 50-50 de temps de parole. Le tout est que chacun et chacune se sente satisfait et satisfaite par l’équité instauré dans l’échange.
Il y ainsi plusieurs tâches qui viennent contribuer à la conversation : les temps de parole, les choix de sujets ainsi que les interruptions.
La charge conversationnelle peut ainsi se présenter sur ces différents aspects. Avec le fait de garder le fil malgré des interruptions, proposer des sujets intéressants, relancer l’autre et veiller à ce que chacun puisse s’exprimer.
Quand se présente-t-elle ?
Le plus souvent, cette charge conversationnelle apparaît lors de la rencontre. C’est la dynamique qui s’installe et qui va parfois donner le ton pour la suite de la relation si on choisit de rester en contact.
Si vous avez déjà pris des covoiturages par exemple, selon votre tempérament et celui des personnes dans la voiture, il est de convention sociale (sauf si l’inverse est précisé) de discuter un peu et faire connaissance. Dans ce cas là, la charge conversationnelle on l’observe quand une des personnes rame pour essayer d’obtenir des réponses et alimenter la conversation pour que celle-ci soit agréable. (Tâche des sujets de conversation)
Dans une rencontre amoureuse, on peut aussi observer cette charge conversationnelle lors d’un premier rendez-vous. C’est le fait qu’une seule des deux personnes s’appliquent à rendre la conversation intéressante. Et en allant même plus loin, une seule des deux peut s’efforcer d’aller à la rencontre de l’univers de l’autre. C’est d’ailleurs dans des moments comme ça où l’on peut se questionner sur la façon de trouver un juste équilibre entre savoir se raconter mais aussi aller chercher l’autre, aller à la rencontre de l’être de l’autre.
Les échanges de surface
Par message, on retrouve aussi cette charge lorsque l’on discute et que l’une des deux personnes envoient uniquement des messages du type : “Salut, ça va ? Quoi de neuf ? T’as fait quoi de ta journée ?”
Ce type de message nous fait rester uniquement en surface dans une conversation, vers des propos descriptifs : la routine, la pluie et le beau temps. Une personne qui a à cœur d’entretenir la conversation et qui dispose des compétences pour, va donc recevoir ces messages et prendre en charge la conversation.
Derrière ce type d’accroche, on peut y voir un manque d’investissement, une forme de paresse intellectuelle et un manque d’intérêt. Ce ne sont bien entendu que des interprétations puisqu’en réalité, cela peut témoigner de compétences conversationnelles en cours de développement, de timidité ou bien d’autres choses.
Comment rendre une conversation intéressante ?
Ce qui nous amène donc au fait qu’on peut choisir de rester sur une conversation de surface ou de rentrer dans plus de connexion. Dans un précédent article, je vous parlais justement des différents degrés du dialogue pour développer la connexion et l’intimité.
Il y a des circonstances qui font que certaines personnes n’ont pas encore développé les compétences conversationnelles qui permettent d’entretenir le lien. Il y a aussi des personnes qui ne comprennent pas certaines interactions ou conventions sociales.
Le but n’est donc pas de jeter la pierre sur celles et ceux qui se laissent porter par la conversation mais plutôt d’amener de nouvelles perspectives.
Les postures possibles à adopter
Certaines personnes pourraient penser que si ça nous coûte de prendre en charge la conversation alors pourquoi la prendre en charge ? On peut effectivement choisir de rester sur le même degré de dialogue. On peut aussi ne pas relancer la conversation ou simplement laisser des blancs.
Néanmoins, en fonction de notre tempérament, il est possible que pour nous ce ne soit pas une option. Je m’explique. Par exemple, pour moi, dans ma relation amoureuse, cela me coûte davantage d’avoir une conversation plate que de faire l’effort de prendre en charge la conversation.
Cela ne me plaît pas nécessairement, mais parfois, je préfère cela à la perte de la connexion avec l’autre.
Entrer dans plus de connexion émotionnelle
Face à des questions de surface, on peut choisir d’engager davantage la conversation. On accepte le fait que la personne avec qui on échange ne sait pas nécessairement comment lancer un sujet alors de notre côté, on y va.
Par exemple, pour répondre à des questions du type : “Comment vas-tu ?” On peut choisir de :
- partager quelque chose de personnel. “Aujourd’hui, je me sens séduisante, je porte une de mes robes préférées, elle me va à ravir et me donne beaucoup d’énergie.
- confirmer notre affection pour l’autre. “Je vais super bien avec ce gentil message que tu m’envoies.”
- partager un ressenti personnel. “C’est un peu dur le boulot pour moi en ce moment, j’ai quelques difficultés mais je sens que je vais les surmonter.”
- partager une anecdote. “Ma journée est gratifiante, j’ai eu un superbe échange avec une amie de longue de date, ça m’a reboosté, j’ai déjà hâte de la revoir. Et de ton côté, ta journée t’a-t-elle apporté de belles choses jusqu’à présent ?”
- apporter un ressenti négatif. “Je me sens déçue, j’avais hâte que l’on se voit mais notre rendez-vous n’est toujours pas confirmé de ton côté.
Ce ne sont que des exemples mais il est possible de venir mettre plus d’intention avec ce type de réponse que “je vais bien” ou “je ne vais pas bien”. Le fait de montrer la voie peut parfois permettre de faire évoluer la dynamique.
Se décharger du poids
Il est évidemment aussi possible de se décharger du poids de la conversation. Si on a tendance à faire l’effort de prendre la conversation en main, on peut aussi arrêter. Non pas pour punir l’autre et faire de la conversation un espace insatisfaisant mais simplement pour aller observer ce qu’il se passe dès lors qu’on bouleverse la dynamique.
- Est-ce que l’autre se rend compte que la conversation suscite beaucoup moins de connexion ?
- Est-ce que ça dérange l’autre personne ou est-ce quelqu’un qui se satisfait de ce type d’échange ?
Il arrive parfois que la dynamique change naturellement dès lors qu’on change notre propre comportement. Si vous avez toujours pris en charge la conversation, quelque soit les raisons, l’autre n’a pas nécessairement d’intérêt à changer sa posture tant que vous gardez la votre. Des fois, tout bêtement, l’autre personne n’a pas l’espace de venir partager la charge conversationnelle puisqu’elle est déjà portée.
C’est agréable aussi de se laisser guider au gré de la conversation, d’avoir le sentiment que c’est fluide et qu’on n’a pas besoin de faire “des efforts”. D’ailleurs, on a parfois l’impression que c’est ultra fluide alors qu’en fait l’autre est en train de tout prendre à sa charge.
Sortir de la suradaptation
C’est quelque chose qui se retrouve fréquemment lors des premiers rendez-vous où l’un des deux passe un super moment et ne comprend pas pourquoi l’autre personne ne manifeste pas plus d’enthousiasme que ça à se revoir alors que ”on a passé un super moment c’était génial.”
Des fois, c’est tout bêtement que l’autre personne s’est suradaptée. Elle a voulu montrer une image un peu lissée, un peu parfaite. Et dans son élan de faire bonne impression, cette personne a pris la charge conversationnelle pour que l’autre passe un super moment. Sauf qu’après coup, celle-ci s’est vidée de son énergie. Mais j’y arrive juste après.
En tout cas, le fait de cesser de prendre la charge conversationnelle peut aussi permettre de mener à une conversation qui est bénéfique. C’est tout à fait entendable de dire :
“Depuis quelque temps nos échanges sont parfois épuisants pour moi. Je me mets la pression pour chercher à entretenir la conversation et la rendre intéressante mais je ne m’y retrouve plus dans ce type de dialogue.”
Communiquer sur le sujet
D’ailleurs, cette ouverture sur le sujet, on peut l’amener que l’on ait choisi, ou non, d’observer si un changement se fait naturellement lorsqu’on laisse l’espace à l’autre d’être plus intentionnel dans la conversation.
Dans nos modes de fonctionnement, y a souvent deux tendances qui se dessinent :
- Le fait de laisser les gens se raconter, donc éviter d’être intrusif et laisser aux personnes le choix de raconter ce qu’elles désirent partager
- Le fait d’aller à la rencontre de l’univers de l’autre, donc on montre qu’on s’intéresse à l’autre par le fait de poser des questions et faire parler l’autre personne
C’est comme ça qu’en échangeant, si on ressent déséquilibre conversationnel, on peut aussi mettre en lumière qu’il s’agit peut-être uniquement de deux visions différentes mais complémentaires.
Comment reconnaître la charge conversationnelle ?
Il existe des relations avec des personnes qu’on apprécie et pourtant, après les avoir vu, on se sent vidé de notre énergie. Le fait de se sentir drainé est un ressenti qui est souvent partagé par les personnes qui ont cette charge.
C’est aussi le fait d’appréhender certaines rencontres, même en groupe, car on sait qu’on va devoir beaucoup donner et avoir peu d’éléments en retour pour alimenter le lien. Voire, peu de retour ou de suivi sur nos propres conversations.
Puisqu’au-delà du temps de parole, il y a la posture adoptée par notre interlocuteur qui vient s’ajouter au ressenti. Selon les cultures, il existe différentes formes de réponses minimales qui indiquent à la personne qu’elle a notre attention. On peut hocher la tête, regarder dans les yeux ou encore employer des petits mots “hm, hm” – “oui, je vois”
Quand ces derniers ne sont pas visibles et qu’on a déjà cette sensation de charge conversationnelle, cela vient l’accentuer.
Et je parlais tout à l’heure des tâches qui se déroulent dans une conversation. Quand on lance des sujets et que ces derniers ne sont pas suivis, cela contribue à ajouter de la frustration et un ressenti de déséquilibre. Notamment, un aspect de sens unique.
Cela peut avoir un impact direct sur l’estime de soi. Les personnes peuvent avoir le sentiment de ne pas être intéressantes. Elles peuvent aussi se dévaloriser au passage avec des pensées comme :
- “Je ne vaux même pas l’effort d’apprendre à me connaître”
- “C’est toujours moi qui m’intéresse à l’autre”
- “Je ne suis pas intéressante” etc.
En bref, quand on est seul à faire la conversation, c’est fatiguant et ça ne nous renvoie pas une image particulièrement positive de nous-même.
Quelles solutions face à la charge conversationnelle ?
Alors, que faire ? Déjà, se rappeler qu’une conversation se co-construit. Quand on interagit, la responsabilité de passer un beau moment est répartie.
Je pense que c’est très important d’être honnête avec soi-même.
- Est-ce que c’est récurrent qu’on ait la charge conversationnelle ?
- Est-ce qu’il existe des contextes spécifiques pour lesquels on se retrouve dans cette situation ?
- Se sent-on affecté ou aime-t-on cette disposition ?
Il y a des situations où, par peur de perdre l’autre, on va minimiser l’impact que cette charge conversationnelle a pour nous. Celle-ci peut nous coûter, et pourtant on va chercher à relativiser, trouver des excuses, justifier la situation etc.
C’est là où ça demande de l’honnêteté envers soi-même. Si on était sûr que la relation n’était pas en péril, est-ce qu’on chercherait à changer cet aspect ? Mais aussi quelle envie s’exprime derrière le fait de partager la charge conversationnelle ?
Parfois c’est le fait de se sentir important, d’être écouté, d’être intellectuellement stimulé, de sentir de la réciprocité ou autre. On passe ainsi par la connaissance de soi.
Il y a des personnes qui vont aimer avoir cette charge. Le problème c’est lorsqu’une personne la prend mais s’oublie, se minimise et ne s’écoute pas au passage.
Donc première chose, on peut creuser un peu pour mieux se connaître et identifier si oui ou non c’est réellement un problème. Seconde chose, on cherche à faire bouger la dynamique en observant ou en discutant. Puis, en fonction des conclusions tirées, on peut réellement mettre en place des choses pour venir répondre aux besoins de chacun et chacune.